LES DIFFERENTES INTERPRETATIONS DU COMMISSAIRE MAIGRET A L'ECRAN

 

Et encore, il en manque à l'appel!

Est ce qu'en créant son héros en 1931, Georges Simenon se doutait qu'il y aurait autant d'adaptations au cinéma et à la télévision? Certainement pas! Surtout, qu'il avait prévu l'employer uniquement dans 4 ou 5 romans ... Et on connait la suite: ce sera 103 romans et nouvelles (sur plus de 40 ans) ayant pour dénominateur commun le commissaire Jules Maigret de la Police Judiciaire.

Simenon disait: "J'écris des romans semi littéraire et le genre policier est techniquement le plus facile à écrire. En effet, vous avez un meneur de jeu, un enquêteur qui peut questionner n'importe qui, rentrer dans n'importe quelle maison. Ses allées et venues facilitent pour l'écrivain la construction de l'histoire."

Georges Simenon, le "papa" de Maigret

L'écrivain se promenait toujours avec son chapeau de feutre vissé sur la tête et la pipe à la bouche, pourtant il affirmait qu'il ne s'identifiait pas au personnage. Simenon parlait de son héros ainsi " Ce n'est pas un homme intelligent comme un Sherlock Holmes, c'est un instinctif qui a le don de "renifler" les gens. C'est un homme du peuple. Son père était régisseur au Château de St Fiacre dans L'Allier. Maigret a grandit là-bas à la campagne. Sa mère étant décédée, adolescent, il ira vivre à Nantes chez son oncle et sa tante. C'est là qu'il fera l'apprentissage de la grande ville. Puis il va rentrer très jeune dans la police en écumant le tout Paris: le métro, les gares, les grands magasins, les bars. Il a appris son métier comme ça.

La première aventure de Maigret

Il ne juge pas les criminels, il laisse ça à la magistrature qu'il n'aime pas trop d'ailleurs puisque trop moraliste. La morale n'existe pas, elle change suivant les époques, les peuples, les circonstances. Son boulot c'est d'arrêter des gens parce qu'ils ont enfreint la loi. Et c'est comme ça qu'il procède, il essaye de comprendre leur geste sans les juger, pour que ca n'obstrue pas son enquête".

Malgré le fait que Simenon disait ne pas coller à Maigret, il a mis beaucoup de ses valeurs dans le personnage: la proximité avec les les classes sociales modestes, son empathie, sa simplicité et son gout pour la bonne chair (l'écrivain comme le policier aimait les plats traditionnels, bien consistants et lever le coude de temps en temps). Le cinéma s'empare du personnage dès 1932, soit seulement 1 an après la parution du 1er roman. Et c'est Pierre Lenoir qui, pour la première fois, prêtera ses traits au fonctionnaire de police dans La nuit du carrefour.

La nuit du carrefour (1932) avec Pierre Renoir

Pour l'anecdote, Pierre Renoir est issu d'une illustre famille d'artistes, puisque il est le fils du fameux peintre Auguste Renoir et donc le frère du cinéaste Jean Renoir. 

Georges Simenon dira de lui que c'était un de "ses Maigret" préférés. Peut être, une certaine affection du fait que pour la première fois son  personnage prenait vie.

La même année, Abel Tarride campe le fameux commissaire dans Le chien jaune réalisé par Jean Tarride (le propre fils de l'acteur). Mais pour le coup Simenon n'apprécie pas la prestation du comédien. Déjà il y a un problème d'âge puisque Tarride a 67 ans (alors que dans les bouquins il a une cinquantaine d'années) Mais surtout le romancier le trouve trop mou. Il dira exactement ceci: "Tarride était obèse et si mou qu'il avait l'air d'un animal en baudruche qui va s'envoler au plafond!". Le seul bon point du film, la présence de l'excellent acteur Robert Le Vigan, le même qui incarnera Jésus dans Golgotha (la légende raconte que Le Vigan s'était fait enlever plusieurs dents pour que le Christ est un visage plus émacié).

Les films se suivent, et en 1933, c'est une grande vedette Harry Baur qui endosse l'imperméable de Maigret dans La tète d'un homme . Malgré tout, Simenon n'adhère pas. Il trouve que l'acteur en fait trop dans le "pathos". L'écrivain, au départ, voulait lui même réaliser le film car il était moyennement satisfait des deux premières adaptations. Mais finalement c'est Julien Duvivier qui sera aux manettes. Henri Langlois, de la cinémathèque, reprochera au réalisateur "de peindre l'humanité d'une façon trop objective" mais quelques années plus tard il reconnaitra les qualités esthétiques et dramatiques du film. Et dira du metteur en scène " J'admire sa science artisanale, son contact avec l'auteur qui lui permettait, dans le réalisme, d'en obtenir le meilleur" (NDLR source: https://www.cinematheque.fr/film/48359.html).

Harry Baur: La tête d'un homme, joli plaidoyer contre le racisme.

En 1943, débute une trilogie avec Albert Préjean qui n'a pas du tout le physique de l'emploi. Préjean est un ancien jeune premier, ex chanteur de charme, et il a un coté détective privé "à la Philip Marlowe". On est loin de la figure débonnaire du commissaire. Le premier film s'appelle Picpus de Richard Pottier, puis vient le plutôt réussi Cécile est morte en 44 de Maurice Tourneur et enfin Les caves du Majestic, à nouveau réalisé par Pottier.

L'affiche de Picpus et une scène des Caves du Majestyk avec Albert Prejean

Charles Laughton, le grand acteur et futur réalisateur du classique La nuit du chasseur campe un Maigret énigmatique dans L'homme de la Tour Eiffel (1949). Le film, une coproduction Americano Française avec des acteurs des deux pays, s'inspire du roman "La tète d'un homme", précédemment porté à l'écran.

L'Américain Charles Laughton en Jules Maigret

En 1952, c'est la mode des films à sketchs, quand sort Brelan d'as, le long métrage du tout jeune Henri Verneuil. Le titre est très bien choisi, trois fins limiers, trois as  parmi les meilleurs détectives servent cette aventure déclinée en trois parties. D'abord il y a le sketch très réussi et très drôle  avec Raymond Rouleau en Mr Wens, puis le deuxième segment pour le coup raté ou John Van Dreelen ridiculise  Lemmy Caution et enfin le troisième ou Michel Simon joue notre héros. L'histoire dure une quarantaine de minutes. En voyant le film, il y a seulement quelques jours (en replay sur Ciné + à la demande), j'ai regretté que ce grand acteur Français n'est pas repris le rôle plus tard, car il fut un Maigret fantastique. Le papa de Maigret, Georges Simenon, ne manquera pas d'éloge à propos de la performance de Michel Simon. Il dira de lui qu'il a joué parfaitement Maigret en lui insufflant toute l'humanité et la tendresse qui  caractérise le policier. Michel Simon parlera ainsi de Jules Maigret "Il n'y a pas de plus beaux rôles qu'un personnage de légende qui commence à devenir presque réel". Egalement, belle performance du petit garçon Christian Fourcade en enfant de chœur témoin d'un meurtre.

Trois héros pour le prix d'un

La même année, on trouve le premier Maigret joué par un Néerlandais Luis Van Rosten dans The old lady of Bayeux. Car en Hollande, le policier de fiction est encore plus adulé que Sherlock Holmes.

En 56, Norbert Henri joue, pour la télé Canadienne, le commissaire dans quatre téléfilms. Et cette même année, sort en France Maigret dirige l'enquête de Stany Cordier, film oublié et qui n'eu pas un grand impact. C'est Maurice Manson qui interprétait le commissaire.

Maurice Manson (à droite) dans Maigret dirige l'enquête

En 1958, le plus populaire des comédiens Français: Mr Jean Gabin accepte de jouer l'enquêteur du 36 Quai des Orfèvres. Ce sera Maigret tend un piège de Jean Delannoy avec Annie Girardot et Lino Ventura dans un petit rôle, celui de l'inspecteur Torrence.

Suite au succès du film, Jean Gabin rempile un an plus tard dans Maigret et l'affaire St Fiacre. Maigret revient dans le château ou son père était régisseur. La maitresse des lieux, la Comtesse de St Fiacre, a reçu une lettre ou son assassinat est programmé pour le mercredi des Cendres. Maigret n'arrivera pas à empêcher ce meurtre mais il devra trouver celui qui l'a perpétré. 

Jean Gabin dans Maigret et l'affaire St Fiacre de Jean Delannoy

Le film est à nouveau un succès populaire, et tout naturellement Gabin reprendra l'imper dans Maigret voit rouge (1963) réalisé cette fois par Gilles Grangier.

Malgré le fait que Simenon fut très fier que son héros soit interprété par un des patrons du cinéma Français, il sera déçu par cette trilogie, reprochant le caractère beaucoup trop moraliste donné à son héros. La faute n'en incombe pas au comédien mais aux adaptateurs des deux romans (pourtant avec le génial Michel Audiard aux dialogues).

Simenon et Gabin en grande conversation

Début des années 60, la télévision, qui se démocratise, connait un essor fulgurant  et se popularise. Téléfilms et feuilletons, à l'époque les parents pauvres du cinéma, vont fleurir un peu partout et envahir le marché Européen.

L'Anglais Rupper Davies en Maigret

Entre 1960 et 1969, le Britannique Ruppert Davies va camper le policier dans plus de 70 épisodes pour la télé Anglaise. La série va connaitre un tel succès qu'elle sera exportée un peu partout en Europe, notamment en Allemagne ou elle remportera le même triomphe. 

Du côté de nos amis Transalpins, c'est Gino Cervi, habitué des rôles issus de la littérature, puisqu'il a été tour à tour Guillaume Tell, Jean Valjean, Cagliostro et bien sûr le maire Peponne de la saga Don Camillo qui interprète Maigret dans la série Le incheste di Commissario Maigret commencée en 1964. La dernière saison diffusée en 1972 (mais quelle belle année!) sera suivie en Italie par quasiment 19 millions de personnes. Un triomphe! 

Le célèbre Gino Cervi en Jules Maigret

Des producteurs malins surfant sur le succès de ce feuilleton auront la bonne idée de produire le film Maigret à Pigalle, une coproduction Italo Francaise avec toujours Gino Cervi en Maigret, face à Raymond Pellegrin en tenancier de cabaret. Le film sortit sur nos écrans en 1967 et connu un réel succès surement due à la bonhommie et la gouaille de l'acteur Italien.

Le Néerlandais Kees Bruce pour la télévision

En Europe également, plus précisément aux Pays Bas, c'est d'abord Kees Brusse qui signe pour 6 épisodes pour la télé Hollandaise (de 64 à 65) puis c'est Jan Teulings, un compatriote à lui, prendra sa place pour 12 autres épisodes.

Un Simenon et trois Maigret: Jan Keullings, Georges Simenon, Gino Cervi et Ruppert Davies.

Bien sur, rendons à César, ce qui est à César, en parlant de la série Française sur Maigret (la 1ere dans notre pays) qui s'étalera de 1967 à 1990 et comptera 88 aventures. C'est Jean Richard, comédien et directeur de cirque (c'était sa passion, beaucoup plus que la comédie) qui sera un Maigret fort concluant. C'est le Maigret de notre jeunesse, celui qu'on voyait déambuler sur les écrans d'Antenne 2  avec un feutre mou sur la tète et la pipe au bec. Certains le trouveront un peu mollaso, mais dans l'inconscient collectif c'est lui qui donnera cette image du commissaire taciturne et taiseux. Mme Maigret, Annick Tanguy, sera présente dans de nombreux épisodes.

Jean Richard, Maigret pendant 33 ans

Rappelons nous aussi du film de 1966 mais sorti en France deux ans plus tard: Maigret fait mouche d'Alfred Weidenman. Là encore, c'est  une coproduction Européenne puisque pas moins de quatre pays y participèrent (L'Allemagne, L'Autriche, l'Italie et la France). C'est l'acteur Allemand Heinz Rühmman qui joue le commissaire. L'histoire est adaptée du livre La danseuse du Gai Moulin et Maigret est chargé d'enquêter sur le vol d'un Van Gogh ayant causé la mort d'un des gardiens du musée.

Dans les autres pays "la Maigretmania" continue à la télévision. D'abord en Angleterre ou l'excellent Richard Harris, né en Irlande? joue le commissaire dans un téléfilm datant de 1988 appelé sobrement Maigret. Harris c'est le héros de célèbres films comme Un homme nommé cheval, Le pont de Cassandra ou Orca. Mais un de ses rôles les plus appréciés sera le Professeur Dumbledore dans les deux premiers Harry Potter de la saga. Décédant en 2002, l'année de sortie de Harry Potter et la chambre des secrets, il sera remplace pour les six autres films par Michael Gambon. Ce même Michael Gambon, qui jouera aussi Maigret dans 12 épisodes pour la télé Anglaise de 1992 à 1993. Drôle de coïncidence! L'hypothèse la plus probable est que producteurs de la saga du sorcier de Poudlard, face au décès d'Harris, se sont souvenus que les deux acteurs Irlandais avaient déjà joué un même personnage.

Deux Maigret Irlandais, avec les lunettes Richard Harris, et dessous le moustachu Michael Gambon

Sergio Castellito, l'Italien jouera dans téléfilms  en 2004 Maigret: la trappola et Maigret: l'ombra cinese vaguement adapté de l'œuvre de Simenon et scénarisé en partie par l'acteur lui même.

Sergio Castellito, il commissario Maigret

En France, après la mort de Jean Richard, c'est Bruno Cremer, possédant une filmo remplie de classiques (La 317ieme section, Paris brule t'il?, L'alpagueur, Le convoi de la peur, Espion lève toi, tenue de soirée ou encore Noces Blanches avec Vanessa Paradis) qui se coiffe du chapeau de Maigret pour la télévision. S'ensuivront 54 épisodes de Maigret et la grande perche en 91 jusqu'au dernier Maigret et l'étoile du Nord en 2005.  Cremer y incarne un Maigret toute en retenue, pétri d'humanité et de compassion. 

Beaucoup d'acteurs renommés (débutants pour certains à l'époque) jalonneront cette série: Marisa Berenson, Arielle Dombasle, Michael Lonsdale, Jean Yanne, Bernadette Laffont, Jean Luc Bideau, Thierry Frémont, Samuel Le Bihan ou Yolande Moreau (et tellement d'autres). Quand à Mme Maigret, personnage souvent essentiel dans la réflexion de notre fonctionnaire de police, elle est interprétée par Anne Bellec.

https://seriecremer.enquetes-de-maigret.com/

Bruno Cremer est Maigret de 1991 à 2004

On retourne en Angleterre en 2016 et surprise, c'est Rowan Atkinson, Mr Bean himself, qui se frotte à un rôle aux antipodes de son répertoire habituel. D'habitude à extravagant, Atkinson est obligé là de jouer tout en retenue son personnage de policier Français, avec un flegme tout Britannique. Quatre épisodes distincts d'1h30 pour cette mini série: Maigret tend un piège (2016), Maigret et son mort (2016), Maigret et la nuit du carrefour (2017) et pour finir Maigret au Picratt's (2017). Ils ont été diffusé sur France 3.

Rowan Atkinson de Mr Bean au Commissaire Maigret

On passera rapidement sur les Maigret Russes pourtant nombreux: Radovan Lukavsly (un ancien Sherlock Holmes), Boris Tenine, Mickhail Danilov, Vladimir Samoilov, Yuri Yevsyukov mais aussi des Tchèques comme Rudolf Hrusinski, Jiri Schwarz ou Japonais Kynia Aikawa, On peut considérer ces interprétations anecdotiques mais en même temps elles sont très révélatrices de la popularité de Maigret. Le succès du personnage de fiction a largement dépassé les frontières Françaises, jusqu'à s'exporter dans le monde entier.

Yuri Yevsukov, un "des Maigret Russes"

Il y a deux ans on entendait parler d'un nouveau film tourné dans l'hexagone, Daniel Auteuil serait l'homme à la pipe. Mais embourbé dans un planning trop chargé, le comédien renonce et c'est Gérard Depardieu qui a récupéré le rôle. Comme annoncé dans une précédente parution sur ce blog, le film sortira l'année prochaine. Est ce que Patrice Leconte, le réalisateur, va opter pour un Maigret traditionnel ou y'aura t'il un renouveau dans le traitement du personnage "façon Lupin" dans la série de Netflix...  Hâte de découvrir ce nouveau Maigret millésime 2022.

Daniel Auteuil ne sera finalement pas Maigret dans le nouveau film de Patrice Leconte

C'est Depardieu qui l'incarnera dans Maigret et la jeune morte