JEAN PIERRE DIONNET, HOMME MULTIPLE (Entretien, 2ième partie)

Continuons avec Jean Pierre Dionnet à voyager sur les routes du cinéma, mais surtout n'hésitons pas à prendre des chemins de traverse, pour voir ou ça nous mène...


Suite de l'entretien téléphonique du Samedi 09 Mai 2020.


Est ce Pierre Lescure et Alain De Greef qui vous ont proposé "Cinéma de quartier" sur Canal+?
Ca c'est pas fait comme ça. En fait l'idée m'est venue alors que j'étais en vacances avec Eddy Mitchell et Gérard Jourd'hui dans le Tenessee, on se baladait le long de la rivière, et ils me parlaient de leur projet "La dernière séance"(donc ça remonte à pas mal). Ils ne juraient que par le cinoche américain et moi j'ai commencé à leur dire "Ouais mais y'a aussi tous ces films Européens, comme les films Italiens". Et Eddy me répond "oh non, je déteste ça". Bref, fin de la discussion. Mais j'ai gardé ça dans un coin de ma tête, parce qu'il me semblait qu'il y avait "matière à faire" avec ces séries B et même des séries A (certaines, personne ne les diffusait).

Jean Pierre Dionnet a animé "Cinéma de quartier" pendant 18 ans

Un peu plus tard, je me suis retrouvé dans une période un peu difficile. J'ai eu un gros passage à  vide, quand se sont arrêtés à la fois "Les enfants du rock", Les humanoïdes associés et ma collaboration à Télérama hebdo. Paf, tout en même temps, et le téléphone qui ne sonne plus.

Et un deuxième en 1988 quand je suis revenu à L'Echo des savanes... Pas une bonne idée! Faut jamais retourner sur les lieux de son crimes. C'est Heidegger qui disait "seuls les voleurs ou les gitans reviennent sur les lieux"... Moi je dois être l'un ou l'autre (rires)... Donc quand Lescure part des "Enfants du rock" pour bosser sur le projet pharaonique Canal +, je n'y crois pas une seconde. Et puis  ca démarre "pas terrible", mais on a le pressentiment que ça va marcher, alors je commence à y croire.
On s'est retrouvé avec Pierre Lescure, à St Tropez, chez Sénéquier. A ce moment là  je n'ai plus de sous du tout, j'suis vraiment dans la merde, alors je lui propose "Cinéma de quartier". Il me dit "T'es gentil, ça m'intéresse, mais pas avant deux ans, car là on veut prouver qu'on est la chaine du cinéma frais".

Pierre Lescure et Alain De Greef, le duo gagnant des meilleures années Canal
Et  moins de deux ans plus tard, il m'a appelé en ne me disant "On commence en Septembre".
De Greef, lui, a plus été "instrumental", déja sur "Les enfants du rock", et après quand on faisait "La nuit du...".  Sur "Quartier interdit", aussi, que j'ai animé. Il m'a amené a diffuser des trucs que je n'aurais jamais osé.

Comme du Abel Ferrara, par exemple?
Non, Ferrara n'a pas posé de problème... Quand Alain De Greef a vu ou je partais, il m'a convoqué et  m'a demandé si il y avait des films que je ne passerais pas dans "Quartier interdit"... "Oh oui c'est simple, y'a deux films que je ne passerais jamais c'est; La dernière maison sur la gauche de Wes Craven et Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini, parce que ce serait trop épouvantable... Alors il m'a répondu "OK, ce sont les prochains"... On les a diffusé et on n' a pas eu une seule lettre de protestation.

L'affiche italienne du Salo (1975)de Pier Paolo Pasolini, considéré comme un des films les plus choquant du cinéma.

A l'époque de "Cinéma de quartier", j'enrichis ma culture ciné grâce a vous, et je me retrouve à regarder des péplums Italiens avec Serge Gainsbourg dans le rôle du méchant Romain. Comment il s'est retrouvé la?
Dario Moreno, aussi, a fait des péplums.
Mais Serge Gainsbourg, ça l'a beaucoup amusé. Il se retrouve à Cinecitta,  avec tout le monde, Anthony Quinn ou Marcello Mastroianni, à bouffer à la cantine du studio Italien.

Gainsbourg sans Hercule se déchaine (1962) de Gianfranco Parolini

Y'a un péplum que je n'ai pas retrouvé... Le film, très moyen d'ailleurs, réalisé par un pionnier du genre, n'était pas fini et c'est Michelangelo Antonioni qui l'a terminé dans un style raté avec des faux raccords pour être cohérent avec ce qui avait déjà été tourné. C'est pour ça Cinecitta était très rigolo, on y trouvait les plus grands cinéastes, les plus grands directeurs de la photo, les plus grands scénaristes et ils passaient d'un truc "dit Bis" à un truc très prestigieux.

Pour revenir à Serge Gainsbourg, que vous avez bien connu, pensez vous qu'il n'a pas eu la carrière de réalisateur qu'il méritait?
Ben moi, j'trouve qu'il n'était pas si bon réalisateur que ça. Entre ce qu'il racontait qu'il allait mettre dans le film et le produit fini... Je trouvais le résultat un peu scolaire. Il était mieux en acteur chez un metteur en scène très inégal comme Claude Berri dans Stan the flasher. Mais ça c'était le complexe de Serge: très doué pour la chanson mais qui aurait préféré être peintre, ou photographe ou un grand réalisateur, tout sauf chanteur et compositeur de chansons.
Mais c'était le roi de la mauvaise foi totale. Tout le monde se souvient de l'engueulade avec Guy Béart dans l'émission "Apostrophes" ou ils se disputent sur le fait que la chanson soit un art majeur ou mineur. Et Serge finit en disant " J'en ai fait deux, trois qui sont pas mal".

Décembre 1986, un "Apostrophes" de Pivot très mouvementé entre Gainsbourg et Béart.

En off, il reconnaissait qu'il y en avait qu'un seul en haut de la pyramide: Charles Trenet, et qu'il ne serait jamais Charles Trenet, et là je suis bien d'accord.

On va parler maintenant de "votre période Asiatique".
Très jeune, vous fréquentez les cinémas de quartier Parisiens et vous découvrez des films Asiatiques comme L'île nue ou Tokyo olympiades, deux OVNI à l époque...
Oui, Tokyo olympiades, un film documentaire tourné avec 500 caméras. Ils filmaient tout. Ils inventent la goutte qui tombe du visage, les accélérés mais surtout les ralentis.
Et ce que fait Ichikawa, c'est tourner des heures, partout et tout le temps, puisque les compétitions ont lieues en même temps et après faire un travail de montage ahurissant pour regarder ou les vainqueurs ou les grands perdants.

Tokyo Olympiades (1965) sur les JO d'été de 1964

Et oui je tombe aussi sur L'ile nue, mais la vraie révélation va venir un peu plus tard: quand René Château, célèbre distributeur de films, va importer les Bruce Lee. Parce que là, tout d'un coup, on se dit: "Whaou c'est quoi ca!"

Vous lancez au début des 90, votre propre société de distribution pour promouvoir des films asiatiques: "Des films". Drôle de nom...
"Des film " est un nom un peu idiot, mais parfois j'ai un sens de l'humour qui dérape. J'avais trouvé ça tellement banal, je me suis dit que ça ferait un bon nom. Pareil, pour Les humanoïdes je tenais au mot "associés", ça faisait un peu épicerie de quartier (rires).
Je me souviens d'un projet de société ou j'avais trouvé cette fois un très joli nom: The magic box. On devait monter des trucs avec pas mal de metteurs en scène dont Guillermo Del Toro.
J'avais une associée Japonaise qui n'a pas fait son boulot: réserver les studios et appeler les metteurs en scène pour fixer des dates. Cette femme m'a fait aussi croire qu'elle avait produit des films, alors qu'elle n'avait fait que la paperasse.
Je m'étais porté garant pour l'aventure sur au moins 5 réalisateurs et ça a foiré en partie à cause d'elle.
Guillermo en a eu marre, je le comprends et il a quitté le navire.
Mais j'ai bien regretté parce que l'idée d'emmener avec moi Kassovitz, Kounen, Del Toro ou
Alejandro González Iñárritu en Asie, ça aurait pu être super.
Guillermo Del Toro et son film oscarisé La forme de l'eau (2017)

Le déclic pour monter votre société de distribution "Des films", c'est au cours d'un voyage en Asie, c'est ca?
Tout à fait. Je pars en vacances à Bali, car tout le monde m'a dit qu'il y avait les plus beaux couchers de soleil, et c'est pas faux d'ailleurs.
Au retour, je décide de faire un crochet par Hong Kong, et je tombe amoureux de la ville et des gens qui l'habitent. Par hasard, je rencontre des grands metteurs en scène, alors je plonge dans la marmite. Je réalise très vite que cette colonie Anglaise va être rétrocéder à la Chine en 1997 et que c'est pour cà qu'ils se dépêchent à faire de tels films. C'est ce qui a rendu leur cinéma si fort à cette période.
Et puis le voyage suivant, je vais à Tokyo ou le nouveau cinéma Asiatique explose. On y fait des films réussis pour rien du tout. Tout une nouvelle génération arrive. Je tombe sur Miyazaki, sur Kitano, qui ne croient pas une seule seconde que leur cinéma peut s'exporter.

Hayaho Miyaki, au milieu de ses personnages (peinture Japonaise)

Après, je me dis: "Allons faire un tour en Corée". C'est une période ou la Corée du Nord et celle du Sud, se trouvaient en pleine crise. Et ce sont ces crises qui ont provoqué l'intelligence de leur cinéma.
Nous en France, des crises on en a eu pas mal, mais on continue à faire ce cinoche de cadre moyen, fait par des cadres moyens et filmé par des cadres moyens.
Comme l'Asie, l'Espagne a eu son lot de crises et ça a amené aussi un nouveau cinéma. Quand on voit  que Gun City a coûté seulement 5 millions de dollars et que nous on fait des films avec un mec et son attaché case pour 15 millions!

Le nouveau cinéma Espagnol et son Gun City (2018)

C'est vrai que l'Espagne produit des excellent polars. Mais vous avez raison pour la France, on a souvent l'impression que notre cinéma est filmé dans une cuisine...
Oui et avec les moyens d'une cuisine. Si c'était encore filmé avec une caméra Fisher Price, y'aurait des effets psychédéliques, mais même pas. C'est une caméra qui a été acheté en promo avec deux vieux projecteurs qui servaient de lampes à bronzer (rires).
Est ce que vous pensez que pour apprécier correctement un film Japonais, il faut être imprégné de la culture Nipponne?

Oui, je le pense, même si je fais partie de cette génération  qui n'est pas allée au bout de cette démarche. Les suivantes l'ont compris, elles. Les petits banlieusards apprennent le Japonais pour pouvoir lire les mangas. C'est comme apprendre le martien pour aller sur Mars!
Le Japon dans son extrémisme me fascine. Et je ne me suis jamais senti aussi agréablement seul qu'a déambuler dans les rues de Tokyo.

Jp Dionnet au salon Animasia

C'était sûrement ce que vous recherchiez, cette sensation?
Tout à fait. Je voulais être "l'homme des foules" d' Edgard Poe. Au Japon, on peut suivre un "courant humain" sans vraiment se toucher. Et se trouver dans une solitude absolue au milieu d'une foule de gens.
Pour moi, la solitude reste le summum du luxe. Mais la campagne avec son ciel marbré et les nuages au dessus de la vallée, c'est d'un romantisme un peu du toc. Ce sont "les mémoires d'outre tombe" de son vivant.
Alors qu' au milieu de la foule tokyoïte, avec des panneaux publicitaires dans tous les sens et des pubs pour les baskets Alain Delon ou Jean Reno.
..
Tokyo, la mégalopole en mouvement perpétuel.

Et tu vas prendre un café à l'étage dans le Starbucks du coin, juste parce qu'il est au dessus d'une librairie Manga et là, à travers les vitres, tu observes le flux de milliers de personnes sortir de la gare... Whaou!  Et tu rentres dans ta chambre d'hôtel avec un sac rempli de mangas, de DVD et deux ou trois CD de chanteurs Français qu'on ne réédite plus chez nous. A l'époque pour trouver tout Claudine Longet, fallait aller là bas.
Et quand on entre dans un sex shop, on découvre des photos de filles dans le plâtre accrochées aux murs! On a l'impression d'être dans une galerie d'art.

Oui, d'ailleurs vous faites le parallèle entre cette culture Japonaise très stricte et ses perversions un peu extrêmes  avec un pays comme l'Angleterre...
Oui, c'est une éducation "à la badine" et à coté de ça: le fétichisme. Le Japon c'est tellement hors norme. Ce sont deux îles fermées sur elles mêmes, un peu consanguine avec des castes, et surtout une hypocrisie sidérante sans oublier une surestimation de l'homme sur la femme.
Les femmes, là bas, c'est compliqué pour s'en sortir.

Ah bon?

 Un peu comme en Angleterre, justement, à  une certaine époque... C'est vrai que dans les années 60 arrive toute une génération d'acteurs, comme Sean Connery ou Michael Caine et des dizaines d'autres. Seule deux ou 3 nanas émergent :Julie Christie par exemple, alors qu'il y avait 30 mecs en même temps. C'est eux qui avaient le devant de la scène.
Michael Caine à l'heure des "Swinging sixties"...

Et les filles, c'est pas qu'elles n'existaient pas, mais on les comptait sur les doigts d'une main. Ce qui m'amusait à Londres, c'est que les mecs s'habillaient mieux que les femmes. Dans la rue, c'était eux les nanas. Y'avait ce côté "coq discret" mais coq quand même. Mais pas tapageur comme le style Italien. Moi, je suis à mi-chemin. En fait, je préfère la démarche Italienne: le mec est pauvre mais avec un beau costume ou  riche mais avec un TRES beau costume. (rires).

Fin de la partie 2
A suivre...


Jean Pierre Dionnet


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