GERARD KIKOINE, DU CINEMA ET DE L' AMOUR (partie2)
Stéphane Roulier: Au milieu des années 80, vous passez du X à l'érotisme, qu'est ce que cela change? Bon je vois à peu près... (Rires), mais dans la façon de tourner?
Gérard Kikoine: J'avais acquis une certaine expérience de la caméra, elle n'avait plus de secret pour moi, on inventait des plans. Mon cameraman amenait son matériel, il avait tous les objectifs possibles. Et on essayait de chiader au maximum au niveau des cadres. Et on a fait comme ça pour le 1er érotique: Lady Libertine.
Avec Sophie Favier...
Sophie avait un peu de mal avec l'accent Anglais (Rires). En fait, avec mon associé, un Scottish, Wilfrid Dodd, qui avait 25 ans de plus que moi, on avait monté une boite de prod: Gold Production. On est descendu à Cannes et Wilfrid m'a présenté Harry Allan Towers, le célèbre producteur Anglais. Towers m'a dit "J'ai vu la plupart de vos films, et j'aimerais travailler avec vous sur une production érotique pour Playboy Channel qui s'appelle Franck and I.".
Le producteur Harry Allan Towers |
Voilà, il me propose ce film Lady Libertine en Français, avec un gros budget pour moi: 500 000 dollars. J'ai trouvé un mannequin Anglais pour jouer Franck, Harry m'a envoyé une actrice des Etats Unis (Jennifer Inch), et donc Sophie Favier a complété le casting. Et nous voilà à tourner dans un château à Louviers et au Grand Hôtel de Cabourg. Le film se déroulait pendant l'époque Victorienne, et j'avais trouvé un "Producer designer" Jean Charles Dedieu , un vrai génie pour dégoter les décors et les costumes.
Tournage de Lady Libertine en extérieur |
C'est ce film qui vous a amené à Dragonard?
Avant il y a eu La ronde de l'amour (1984) et Le feu sous la peau (1985). Puis Harry Allan Towers me rappelle et me dit " Je te propose un film avec Oliver Reed, Eartha Kitt et Herbert Lom, et ça se passe au XVIIIème Siècle." On est allé faire les repérages à l'île de la Réunion, mais ça ne convenait pas et on a fini par trouver les décors idéaux en Afrique du Sud. J'avais Leonardo Cohen Cagli, un Italien, pour les décors et j'avais imposé mon cadreur, mon chef opérateur et mon 1er assistant, bref une équipe d'enfer. Le seul truc qui me gênait, c'est que c'était encore un peu l'apartheid. J'avais un chauffeur black qui m'emmenait partout là bas.
Gérard Kikoine sur un tournage |
A la fin des 15 jours de repérage, il m'a conduit à l'aéroport et m'a demandé "Alors Mr Kiko, que pensez vous de la situation en Afrique du Sud?" Et je lui ai répondu que ça m'ennuyait de tourner dans ces conditions. Et il a réussi à me convaincre de revenir "Non , non Mr Kiko, il faut que vous reveniez pour tourner ce film et que vous puissiez témoigner de ce qui se passe ici". Et je l'ai fait! Dans l'équipe il y avait des blacks bien sur, une partie d'Africains du Sud d'origine Anglaise qui étaient prêt à accepter le changement puisqu'on était en 1987. Par contre les Afrikaners d'origine Hollandaise...
Eux ne voulaient rien savoir?
Oh non, c'était une horreur! Heureusement, je n'en avais pas beaucoup sur le plateau. Mais avec les Blacks, ça s'est tellement bien passé que pendant le tournage, ils m'ont proposé de faire la fête avec eux à Soweto. Mais comme c'était encore dangereux, je n'y suis pas allé. Mais bon, ils voyaient que j’étais tranquille et en plus il y avait une bonne ambiance sur le plateau.
D'ailleurs, comment se sont passés les rapports avec Oliver Reed, acteur gargantuesque, mais qui avait la réputation d'être difficile?
Oliver Reed est le Capitaine Shanks |
Dans le film, il joue un "Queimada" (NDLR: personnage d'un film sur l'esclavage avec Marlon Brando). On me l'a présente là bas, le premier jour de tournage. Il y avait un grand couloir sur le plateau. Je l'ai vu arriver de loin, comme une machine. "Hello Kiko, call me Ollie".
Pour minimiser les frais, Harry Allan Towers le faisait jouer dans deux films en même temps. Et ce matin là, sur l'autre production, il avait pété la gueule du réalisateur! Oh la vache!(Rires) Sur le mien , il a vu que j'avais un découpage, plan par plan et ça lui a plu. Parce que le problème des Ricains, ils n'ont pas de découpage alors pour la même scène ils te font des plans larges (7 ou 8 fois), des plans moyens (autant) et encore 7 ou 8 gros plans, donc les comédiens en ont marre de faire 20 fois la même chose.
Oliver Reed |
Au début, à chaque fois que je disais "Coupez!", il retournait dans sa caravane pour picoler. (NDLR: le comédien succombera à une crise cardiaque dans un bar à Malte en plein tournage du Gladiator de Ridley Scott). Mais le 2ème jour, j'ai fait un gros plan sur lui et après ça, il est resté sur le plateau. Et j'ai compris que pour "tenir" un comédien, il faut lui offrir un gros plan (Rires). Bref, on s'est très bien entendu avec Oliver, la preuve c'est que pour la suite, il n'a pas dit "Je ne veux pas de Kiko", au contraire,il était ravi!
Justement, est ce que le deuxième Master of Dragonard Hill a été réalisé dans la continuité?
Le premier, j'ai débarqué en Février 87 et l'autre en Juin de la même année. Entre temps, Towers m'avait demandé de venir à Los Angeles pour le casting de L'île au trésor que je devais faire, et d'ailleurs Oliver Reed devait jouer Long John Silver. Mais finalement, le film ne s'est pas fait. Et Towers me dit "Tu vas faire un autre film inspiré de Platoon, et ça va s'appeler Platoon Leader". Je suis reparti à Los Angeles pour la préparation. Et au final les décideurs de Canon Film ont préféré prendre un réalisateur américain parce qu'avec un Français, ils avaient peur que ça fasse trop guerre d'Indochine.
Dans la suite de Dragonard, il y a Herbert Lom qui avait été le Napoléon de King Vidor pour son Guerre et paix (1956)...
Herbert Lom |
Oui Herbert Lom, un comédien génial et la chanteuse Eartha Kitt, une personne adorable et très drôle. Sans me vanter, j'arrivais à mettre une bonne ambiance sur les plateaux. Même dans mes "films d'amour", j'avais mon découpage, plan par plan. Tout était écrit, chronométré, avec les mouvements de caméra, les amorces, les déplacements. Comme une partition d'orchestre. Il n'y a rien de pire pour un comédien de ne pas savoir ce qu'il doit faire, ou se placer. Après il n'a plus qu'a s’occuper de son jeu!
Eartha Kitt |
Pour ces deux Dragonard, vous avez obtenu un gros budget, un tournage à l'étranger, des acteurs internationaux... Est ce que La Cannon Groupe, maison de production culte des années 80, vous a mis la pression?
Non. En Afrique du Sud, le producteur exécutif, c'était Avi Lerner qui est maintenant un producteur très connu à Hollywood (NDLR: Expendables, Homefront, La chute de la Maison Blanche). Il gérait tout ça et l'équipe technique mais il me laissait tranquille. Et Harry Allan Towers, toujours dans un avion, qui amenait l'argent et qui produisait trois films en même temps. Pour ma part, je ne me la suis pas mise, j'avais cette inconscience. De toutes façons qu'est ce qui pouvait m'arriver? J'avais toujours voulu faire des films classiques, et comme je te disais: je savais ce que je voulais et ça rassurait l'équipe!
Dragonard |
Après ça Harry Allan Towers vous propose Dr Jekyll et Mr Hyde d'après Stevenson avec Anthony Perkins. Dur de refuser?
Exactement! (Rires). J'étais tout excité. Towers, en Janvier 1988, m'a demandé d'aller le rencontrer à Los Angeles. On prend l'avion, on débarque à L.A et là tu vas voir comment ça se passe! Il m'emmène en voiture sur les hauteurs, dans les collines d'Hollywood et on arrive devant une très belle maison sur pilotis parce que le terrain était abrupt. Towers sonne et Anthony Perkins nous ouvre. Harry nous présente, puis me dit qu'il revient me chercher dans une heure. Il me laisse seul avec le grand Tony Perkins! Bon, moi je baragouinais l'anglais "like Maurice Chevalier", même si les filles adoraient ça! (Rires). Heureusement il parlait un peu Français parce qu'il avait déjà tourner dans notre pays...
Anthony Perkins et Glynis Barber |
Avec Claude Chabrol dans La décade prodigieuse...
Et Le procès d'Orson Welles (NDLR:tourné aux studios de Boulogne Billancourt).
Tony me fait rentrer chez lui, m'emmène dans sa cuisine où on s’assoit chacun d'un côté d'une table de 3 mètres de long. Et au milieu de cette table, il y a le couteau de Psychose! Et on se met à parler du film. J'avais bien bosser le scénario et je lui explique que dans le premier jet, son personnage devait mourir, mais que finalement il ne meurt pas. Bref, on discute de choses comme ça.
L'affiche Italienne: Dr Jekyll et Mr Hyde au bord de la folie... |
Et à un moment il me regarde et me demande "Gérard, pourquoi tu veux faire ce film?". Je sais pas trop quoi dire, je me lève, je prends le couteau au milieu de la table, je le glisse jusqu'à lui, il me regarde bizarrement, je me mets au dessus de lui et je lui dis "Parce que je suis venu libérer Norman Bates!" Et il a éclaté de rire. Je ne sais pas, il m'avait mis le couteau, alors ça m'est venu comme ça! On s'est tapé dans la main, et c'était fait. On s'est entendu parfaitement pendant le tournage. C'était un homme formidable avec une voix incroyable et un humour fou.
Ça a été son avant dernier film, était il malade sur le tournage?
Je pense... Dans sa chambre il avait une dizaine de trucs qu'il prenait. Malgré tout, il était quand même en forme, c’était pas évident, en plus on tournait pas mal de scènes la nuit...
Anthony Perkins est le Dr Jekyll |
Dans ce film, il y a deux influences que j'ai repéré: ce sont les films d'expressionnisme Allemands et aussi les couleurs très vives à la Dario Argento dans Suspiria...
Oui, c'était voulu, surtout ces tons rouges. Tout cela était travaillé. Et quand on est dans le laboratoire du docteur Jekyll, on découvre une partie moderne, parce que c'est en lui, un passage dans l'espace temps. Et quand Anthony Perkins se transforme en Hyde, on lui a mis des Doc Martins, il a un look très moderne (d'ailleurs, j'ai gardé sa ceinture du tournage), alors qu'en Jekyll, il est habillé de façon plus classique.
Et vos relations avec la vedette féminine: Glynis Barber qui avait cartonné dans la série Anglaise Mission casse cou?
Elle m'a fait un peu chier! "Kiko, comment on se met? Comment on fait le prochain plan?" Moi, j'avais d'autres choses à penser et elle me mettait la pression. Tony avait remarqué son manège, et un jour il me dit " Gérard, toi tu vas faire le gentil avec elle, et moi je vais faire le méchant!". (Rires)
Et pour éviter les jalousies, je faisais un gros plan sur elle, un gros plan sur lui.
Les deux acteurs principaux et leur réalisateur au Festival d'Avoriaz. |
Après les deux Dragonard tiré des romans de Rupert Gilchrist, Dr Jekyll de Robert Louis Stevenson, on vous propose une autre adaptation littéraire, cette fois d'Edgard Poe...
Buried alive (L'emmuré vivant en Français). Toujours produit par Allan Towers qui me propose Robert Vaughn dans le rôle principal. Au début, je voulais Anthony Perkins, mais il a refusé, il trouvait qu'il ne collait pas au personnage, donc on a pris Vaughn.
La star Américaine des Agents très spéciaux...
Oui, et c'est lui aussi qui attrape les mouches dans Les 7 mercenaires (1960). Par rapport à Perkins, Robert Vaughn a été très perso, il faisait son boulot mais pas plus. Il n'était peut être pas bien dans sa tête, en tout cas il n'était pas très marrant, il manquait d'humour. Bon, il a vu que je bossais, que j'étais pro.
Robert Vaughn |
Sur ce tournage il y avait deux autres monstres sacrés...
Donald Pleasance, très drôle qui a été génial! Lui par contre, il était toujours prêt à déconner et John Carradine, très vieux, qui n'a pas un très grand rôle mais ça m'a fait tellement plaisir de l'avoir sur mon tournage.
Le patriarche de la famille Carradine: John |
Par rapport aux films classiques que vous avez fait, il n'y a pas un réalisateur Français qui peut se vanter d'avoir eu une distribution aussi prestigieuse: Oliver Reed, Eartha Kitt, Herbert Lom, Anthony Perkins, Robert Vaughn, Donald Pleasance et John Carradine... En 3 ou 4 films, vous avez eu des acteurs de malade!
(Rires) C'est juste. C'est un truc auquel je n'avais jamais pensé. Et pourtant le réalisateur venait des "films d'amour"!
Donald Pleasance |
Ces comédiens vous parlaient de votre passé dans le X ?
Jamais. Même avec Tony, on ne l'a jamais évoqué. Et Harry Allan Towers non plus, pourtant il aimait bien les nanas. D'ailleurs il m' avait "imposé" Ginger Linn, une hardeuse, pour jouer dans Buried alive. Mais lui non plus ne m'en a jamais parlé, c'était classe!
Mais vous n'avez jamais renié votre passé, au fond ça ne vous aurait pas dérangé?
Absolument, j'ai toujours signé mes "films d'amour" sous mon propre nom, j'ai toujours assumé. Et puis avant ça, j'avais fait carrière dans les films classiques en faisant de la post synchro et du montage où là on peut aller d'avant en arrière, c'est plus difficile dans la vraie vie (Rires).
Gérard Kikoine |
Après ça, vous avez réalisé un épisode de Commissaire Moulin...
Exact, mais je n'ai pas voulu en faire d'autres. Je me suis très bien entendu avec Yves Rénier, que je connaissais déjà. mais avec l'équipe de production de TF1, pfff, ça a été un vrai bordel. L'ingénieur du son disait "Coupez!" Et je lui demande "Pourquoi tu dis coupez à ce moment, y'en a qui qui doit dire Coupez, c'est le réal". Et il me répond "Parce qu'on est en extérieur, y'a eu des bruits pendant le plan". Et alors! On pouvait bidouiller ça en post synchro plus tard.
Sur les "films d'amour", y'en a seulement un autre qui peut dire qu'on est prêt pour tourner, c'est le hardeur juste avant l'éjaculation: "Mmmmoteur" (Rires).
Là, récemment, il y a la sortie du Kikobook qui retrace vos années dans le X, on peut se le procurer facilement?
Oui chez Amazon ou demander à votre libraire de le commander à l'éditeur. (NDLR: je préfère cette deuxième option 😊).
Pour le coup, vous avez fait des films publicitaires avec Dominique Troyes (Marylin Jess) et Alban Ceray...
Oui sur Ulule (NDLR: site de crowdfunding pour accompagner les projets). On s'est mis en scène pour égayer ce projet de livre sur le site. On a quand même récolté 20000 € mais l'éditeur en prend un maximum (Rires). Mais ils ont bossé. Ma femme aussi... Elle était directrice artistique dans la pub, elle s'est occupé de la mise en page, des photos, et moi j'ai travaillé et retravaillé les textes avec Philippe Girard.
Marylin Jess et Alban Ceray |
Et maintenant quels sont vos projets, Gérard?
J'en ai quelques uns, dans le genre série TV, mais je n'arrive pas à les monter.
J'ai une histoire qui se passe dans une clinique vétérinaire, parce que les animaux, ça plait beaucoup et parce que c'est un désir personnel aussi. Ça peut se vendre aux Etats Unis, partout.
Et un autre truc qui s'appelle PC, une relecture du Petit chaperon rouge. Ça se passe aux USA, de nos jours. PC (petit chaperon rouge) retrouve d'autres héroïnes de contes, comme la petite fille aux allumettes sauf qu'elle ne vend plus des allumettes mais de la coke à New York (rires). Elle rencontre aussi le petit Poucet. Mais son but est de retrouver sa grand mère qui habite NYC pour que ça lui fasse une sorte de catharsis.
Et puis vous avez énormément tourné, donc vous goûtez à un repos bien mérité.
Oui et j'existe! Car il n'y a rien de pire que de vivre sans exister! La preuve: on me propose des interviews, on me demande dans des festivals, ça me fait plaisir.
Gérard, merci beaucoup! Est ce qu'on peut se tutoyer?
Oui avec plaisir!
Merci pour cet entretien. Pour l'anecdote, j'avais une douzaine d'années et j'avais acheté un magazine "Vidéo News" parce qu'il y avait Superman (Christopher Reeve) en couverture.
J'adorais la saga des films sur ce super héros. Et dans ce numéro, il y avait aussi une longue interview de toi. Et de savoir que quelques années plus tard, c'est moi qui t'interviewe, c'est magique!De l'émotion, et bien c'est ce qu'il faut!
FIN DE L'ENTRETIEN
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